25 novembre 2021

LE TRA-LA-LA DE MARIE-ANDRÉ HAGUENOT, fondateur de la revue CHIMÈRE

LE TRA-LA-LA DE MARIE-ANDRÉ  HAGUENOT

 

 


MEA MAXIMA CULPA

Le Bibliophile languedocien, relisant la notice sur  MARIE-ANDRÉ HAGUENOT qu'il a rédigé il y a près de 25 ans dans le DICTIONNAIRE DE BIOGRAPHIE HÉRAULTAISE de Pierre CLERC se cache derrière les touffes de cheveux que la honte arrache de son crâne. .

Il avait rencontré HAGUENOT sur les feuillets de la revue CHIMÈRE ( la fabuleuse revue dirigée à Montpellier en 1891 par Paul REDONNEL). Il y était qualifié de "fondateur". Le Bibliophile avait traduit : "bailleur de fonds" (il avait raison) et était passé à quelqu'un d'autre (il avait tort).

Il s'était fié à des bribes de biographie cueillies je ne sais où. Sans vérifier.  Pourquoi lui donne-t-il pour dates de vie 1856-1904, au lieu de 1868-1900 ? Pourquoi en fait-il un médecin alors qu'il est avocat? Il ne sait plus. Tout est faux !

Mélangeant allègrement des informations concernant plusieurs personnes, il a, comme Haguenot, créé une chimère.

Dire des bêtises sur la vie d'un Victor Hugo n'a pas d'importance : l'Histoire corrige. Mais comme le Bibliophile était le seul à parler d'Haguenot, ce qu'il en disait est devenu parole d'Évangile.  Aïe aïe aïe ! Voilà-t-y pas que sa notice foireuse est reprise littéralement dans les rares notices parlant de M. A. Haguenot, y compris pour décrire les fonds appartenant  aux Archives départementales. Aïe aïe aïe ! Mea culpa ! 

 



 

 

REPRENONS À ZÉRO SA BIOGRAPHIE

Et cette fois sur bons et véridiques grimoires.

MARIE-ANDRÉ HAGUENOT naît à Montpellier le 20 septembre 1868 dans la maison ALICOT, passage BRUYAS.

Son père, Marie Louis Henri Haguenot (1829-1914) est un propriétaire de 39 ans, fils de Polynice Haguenot, lui aussi propriétaire, né avec le XIXe siècle. Sa mère est née Marie Antoinette Isabelle EYMAR, fille d'Etienne, négociant en droguerie. Elle a 34 ans pour l'éternité, car elle meurt (fièvre puerpérale?) 15 jours après, le 5 octobre.

 

Études de droit. Avocat à la Cour d'appel de Montpellier.

 

Le 6 février 1893, à 24 ans, il se marie à Marseille avec Augustine Émilie Marguerite FAJON, née à Marseille le  19 juin 1872, fille du secrétaire général des Messageries maritimes et de Léonie TALON.  Les deux mariés habitent encore chacun chez leur père, tous deux veufs.  Un contrat de mariage est enregistré chez Roubaud, à Marseille. Les témoins sont un cousin du marié, Henri Yvaren, Joseph Gervais, avocat à Montpellier, un oncle de la mariée, l'armateur Émile Talon et Paul Fajon, un nom qui nous rapproche de Bruyas et de Courbet.

Deux enfants naissent de cette union (mais pas à Montpellier). Henri, qui meurt sans doute très très jeune, et Etienne Marie Henri (1896-1931) , qui s'appellera HAGUENOT DE LAISTRE après son adoption par le Comte de Laistre, second mari de sa mère,  épousera en mars 1929 Marie BARRAL D'ESTÈVE, et écrira des opérettes signées HENRI HALLAIS.

Le couple habite son magnifique hôtel particulier situé 20 rue de la République (résidence hôtelière en face du Square Planchon, le long de l'arrêt de tram.)

Je ne sais si l'activité de l'avocat Haguenot est prenante, mais son activité littéraire est des plus luxuriante.

Bien sûr, son coup de maître, est, à 23 ans, en 1891, de fonder la revue CHIMÈRE, une des plus importantes en France en cette fin de siècle. Cela seul lui ouvre le droit d'avoir son nom dans l'histoire de la littérature française.

Et il écrit, il écrit... Le fonds de manuscrits (fonds HAGUENOT 1J1850 à 52) des Archives départementales de l'Hérault compte 8 volumes de théâtre, de prose et de poésie, et ne contient à peu près que des œuvres de jeunesse, antérieures à 1890.

Il publie ses œuvres dans des plaquettes qu'il signe parfois DUBOIS DES ISLES.

 

Cette écriture s'interrompt tragiquement à Saint-Gély-du-Fesc sur la route de Ganges le 7 avril 1900.

Marie André Haguenot est victime d'un accident d'automobile. Son groom, Joseph Serveille, 15 ans, projeté à 6 mètres de la voiture est grièvement blessé.

Lui-même a le crane fracturé et la poitrine défoncée. Malgré les soins du Dr Coloma, il décède lors de son transport à Saint-Gély.

 

Le 15 avril 1900, La Vie Montpelliéraine fait son éloge funèbre et annonce la publication prochaine de sa dernière œuvre, une nouvelle : Pauvresse.

 

"Parmi les jeunes, s'il était une personnalité sympathique, c'était, à un très haut degré, celle de notre ami disparu André Haguenot.

Doué de tous les biens de la fortune, goûtant les charmes d'une famille crée dans l'amour et où tout concordait, les sentiments et les convenances ...  Il jouissait de la vie en lettré, en artiste, en digne fils d'une lignée d'ancêtres...

D'un caractère franc, ouvert, généreux, il était aimé de tous, et il ne lui a peut-être manqué pour atteindre à la gloire, au moins à la grande notoriété littéraire que d'être obligé de gagner sa vie.

Mais son œuvre de littérateur dilettante est suffisante pour permettre à son jeune âge de faire bonne figure auprès de ses aïeux qui se firent un nom par leur labeur.

 

 

QUELQUES LIVRES D'ANDRÉ MARIE HAGUENOT

 

Je précise que la bibliographie donnée dans la notice du Dictionnaire de Biographie héraultaise de Pierre Clerc est précise et exacte.

 

Tout semble commencer par une participation du jeune Marie André au Concours annuel de la Revue littéraire de Touraine, en 1887 (M-A H. a 19 ans), dirigée par Auguste Chauvigné (1855-1929), fils du célèbre céramiste :

 

LA DERNIÈRE SYBILLE, poésie qui a obtenu la Palme de bronze au grand concours annuel de 1887 de la Revue littéraire de Touraine (Tours, 1887,  8p.) .

Comme un rocher bravant l'effort de la tempête

Devant le ciel immense et la profonde mer,

Delphes, le temple ancien, dresse bien haut la tête,

Portiques où du vent se meurt le souffle amer.

 

Premiers vers publiés. Le poème alterne alexandrins et octosyllabes pour raconter le dernier oracle de la Pythie de Delphes, le jour même de la mort du Christ :  Je suis la Mort, il est la Vie !

Malgré sa banalité, le poème a un certain allant, et se lit sans ennui, mais

 


LA BERLINE, 1er prix , palme d'argent de la nouvelle du même concours, est publié en même temps.

1815. Dans le relais de poste, la fille du postillon se meurt. Elle avoue à son père son secret. À Paris, elle a été séduite par le jeune baron chez qui elle travaillait, et a accouché d'un enfant mort. Par un hasard littéraire, le dit baron arrive au relais, messager du retour de l'Empereur. La neige cache les chemins et leurs précipices. Seul, le vieux postillon peut conduire la berline, s'il le veut. Les deux hommes partent dans la nuit... et arrivent à bon port.

 


NOS CLAIRONS remporte en 1888 le 1er prix de poésie du même concours.

Je vous aime, ô clairons....

Nous sommes près de Déroulède :

Mais c'est en vain que sur nos têtes

Hideux messagers des tempêtes

Les corbeaux du Nord sont passés.

 


L'histoire d'amour entre Haguenot et la Revue de la Littérature moderne d'Auguste Chauvigné se poursuit. En 1889, c'est la palme d'argent au concours de recueils que les tourangeaux offrent au montpelliérain.

À BATONS ROMPUS, poésies, paraît, toujours à Tours, en 1889.  Cette fois-ci, ce sont 70 pages et 46 poèmes qui paraissent au grand jour.  Le recueil est dédié à Auguste Chauvigné qui en écrit la préface et en souligne la "jeunesse, pourtant un peu pessimiste"

 

On se demande un peu pourquoi ce tout jeune homme à qui tout semble sourire, lorsqu'il interpelle sa Muse, s'écrie :

Tu t'appelles : Douleur !



 

D'autant que, dans toute cette prosodie, aucun accent vraiment désespéré ne nous saute au cœur. Rarement, les accents lyriques en arrivent à exprimer un sentiment profondément personnel. Les bons sentiments et les clichés remplacent trop souvent les vrais sentiments.



 

Ce qui frappe aussi, en dehors d'un clacissisme de bon aloi, c'est le nombre de pièces qu'on peut qualifier de "pré-textes" , c'est à dire des présentations, invocations ou justifications littéraires.

En un mot,  valable pour toute l'œuvre, Haguenot apprend à écrire.

J'ai mis là bien des fantaisies

Qui m'ont traversé le cerveau.

 

Quelques vers, pourtant, ne sont pas dépourvus d'une certaine poésie :

Mourir du mal que j'ai conçu...

 

Est-tu princesse, reine, ou prends-tu ton plaisir

À danser aux faubourgs sur le tambour de basque ?

 

1891 voit la publication de 4 nouvelles plaquettes :

LES ANGOISSES, sonnets. Montpellier, Firmin et Montane,  16p. 




 

UNE CHARGE, poème [guerrier] (id) écrit lors de son service militaire à Tarascon en 1890.

 


 

AU PAYS BLEU, sonnets (id) un hommage à son pays natal

Et je suis transporté bien haut dans les cieux bleus

Dans les paradis d'or, les éthers fabuleux

Où pour mes yeux voyants le mystère est sans voile !

 

Ce recueil écrit en 1890 contient un vers anecdotiquement intéressant :

Sur un char attelé de Chimères ailées...

Un an plus tard, Haguenot créait la revue Chimère. 

 


 

 


 

À LA VILLE DE CETTE. à propos en vers dit par Mlle Mazalto, du Grand Théâtre de Montpellier au Concert donné au Théâtre municipal de Cette au bénéfice de la station zoologique, le 15 avril 1891.  (id). 

 

Vers de circonstance en soutien à la Station zoologique de Sète. L'ornithologie semble avoir attiré Haguenot. 

Sète rencontre et accueille "la Science":

Elle découpe au loin sa silhouette blanche

Sur l'azur de la mer et sur l'azur du ciel;

C'est la ville coquette, et travailleuse, et franche ...

 

 

1892  est aussi une année prolixe,  occupée par le théâtre.

BONSOIR PIERROT est une comédie en un acte , en vers. (Montpellier, Firmin et Montane, 1892,  28 p.). Suivant la vague re-initiée par Adolphe Willette avec Pauvre Pierrot, Haguenot écrit une petite pochade sur le thème de la perfidie et de la vénalité féminine. Mais on se demande pourquoi cette piécette misogyne  est située à Florence, la ville étant résolument absente du décor. 

 



 

CAUSE JUGÉE , est aussi une comédie en 1 acte et en vers, (id).  Profitant de la loi Naquet rétablissant le divorce ( 27 juillet 1884) un couple a divorcé. Se retrouvant "dans une ville d'eaux à l'étranger", le couple se remarie. La cause du divorce est jugée et condamnée par cet écrivain très catholique.

 

La même année, un recueil de DIX NOUVELLES parait, toujours chez Firmin et Montane sous le pseudonyme de DUBOIS DES ISLES

 




 

Ce ne sont pas, certes, des chefs-d'oeuve de littérature. Mais Marie André est plus alerte, plus à l'aise, et disons le, moins ennuyeux en prose qu'en vers.

On se demande ce qui a poussé ce lettré à rimailler comme un pauvre poète-ouvrier, paniqué à l'idée d'écrire de la prose, cet océan où l'on se noie, et qui s'appuie sur les béquilles et les balises de l'alexandrin pour se tenir debout.

 

On est un peu soulagé lorsqu'en 1893, année de son mariage, DUBOIS DES ISLES publie POÉSIES, (Montpellier, Firmin et Montane) les 242 pages de ce qui ressemble fort aux OEUVRES COMPLÈTES de André-Marie HAGUENOT.

Cela ressemble à un point final. 

La fin d'un long dimanche d'adolescence.

 


 

La dédicace de mon exemplaire (à Elisabeth Anduze) ressemble à ces commentaires du sportif battu qualifiés de "lucides" par la presse sportive :

Ici quelque pensée - et là

rien : des blagues et de la frime !

Et tout le temps le tra-la-la

cascadeur et doux de la rime.

Le présent, chère amie, est flatteur :

c'est mon livre ! --- qui s'en soucie ?

On envoie au diable l'auteur

et, sans rien lire, on remercie !

 

La préface imprimée est dans la même veine que la dédicace intime :

Bonjour mon livre ! Te voilà

Déjà prêt pour le grand voyage !

Brise fraiche, ciel sans nuage,

Et tu chantes le tra-la-la !

...

Si la critique est un vautour,

L'indifférent est plus à craindre :

Mieux vaut du mal qu'on a reçu

S'enorgueillir ou bien se plaindre

Que de passer inaperçu.

 

Plus d'un siècle après, j'ai un peu l'impression de tirer, doucettement, Haguenot de l'inaperçu.

 

Ou plutôt l'oeuvre littéraire d'Haguenot, puisque, bon an mal an, il y a encore quelques lecteurs pour ses textes historiques.

Comme celui de sa réception, le 15 janvier 1900 ( 3 mois avant sa mort) à l'Académie des Sciences et lettres de Montpellier : Une famille de médecins à Montpellier (de 1605 à 1818),  récit de sa saga familiale.

Ou bien, prononcée le 30 janvier 1900 (l'échéance fatale se rapproche encore) et aussitôt éditée, sa conférence à la Société d'Aviculture de l'Hérault sur Les Oiseaux chez La Fontaine qui s'amuse et nous amuse. 


 

Ainsi, lorsqu'elle a quelque contenu, la prose d'Haguenot se tient fort bien sous le regard de l'histoire.

 

Mais l'histoire ne m'avait pas attendu pour s'accrocher, griffe bec et tout, à CHIMÈRE, revue d'insolence littéraire, le grand'oeuvre d'ANDRÉ-MARIE HAGUENOT,  même s'il n'en fut peut-être qu'un spectateur privilégié.

 

 

 

 

 

 

 

 

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