22 août 2024

COMMENT ROTTERDAM VOIT ET BOIT LE VIN DU MIDI EN 1820

 Voici, perdue dans le gros paquet de lettres remplies de gros chiffres et de gros sous qu'un gros courtier en vin allemand adresse au gros négociant montpelliérain BLOUQUIER, une lettre qui ne manque pas de finesses.

Elle vient de Rotterdam. Nous sommes en 1820 : il n'y a plus ni guerre ni armée. Reste le vin. A Rotterdam, on connait ça très bien, on connaît nos détails et nos tènements (ça nous surprend). 

On aime en parler et en parle très bien. Avec finesse et bouquet. On nous en parle, en 1820, dans une langue qui ressemble plus à celle de Montesquieu (l'esprit des "oi") que de Chateaubriand (ça nous surprend).  

Et voilà, en gros, ce qu'on nous dit : 

* Que les Blouquier cherchent à étendre leur territoire commercial.

* Qu'il vient y avoir un crack terrible dans les eaux de vie et les trois-six.

* Qu'il faut garder nos vins du midi (nous sommes avant les replantations enragées et phylloxériques) plusieurs années en cave avant de les boire. Devenus vieux, ces vins sont bons, très bons, mais gare aux frais de garde ! 

* Et on nous parle des Bandols buvables illico presto, à la minute ! 

* Que les gens boivent moins de vin qu'avant... 

* Le Banyuls, qu'on aimait tant, la mode en passe, et les Banyuls vont désormais se faire boire à Saint-Petersbourg ! 

* On se porte vers le Bordeaux, qui soutient la comparaison avec nos vins vieux. Et question prix, c'est pas mal non plus.

* Des  Tavels, des Tavels, des Tavels! On veut du vin de Tavel ! 

* On nous fait miroiter une commande mirobolante...  ...  ...  si les prix ...  ...  ... 

* On aimerait : Du Roussillon sans douceur, du Saint-Gilles, du Langlade (Gard) , du Saint-Georges d'Orques, et du muscat.

* On a encore en cave du Saint-Georges d'Orques de 8 ans d'âge (en 1812, quand les Pays-Bas étaient français). Hummm ! 

* A Bordeaux, le vin sera bon, mais avec 1/4 de récolte en moins. Les prix vont monter.

* On refuse de parler du vin de Saint-Drézéry (Hérault) : on ne l'aime pas. On ne lui demande pas de douceur, cet escogriffe sec est rude en est bien incapable. Mais un peu de moelleux... 

* Quant au Saint-Georges d'Orques, au bout de 5 ans, il n'est pas encore mûr pour être bu. Idem pour le Saint-Gilles. L'oenologie est une école de patience ! Sauf urgence et pénurie. 


E ara, legissètz !



 

Lettre à MM BLOUQUIER fils , G COSTE  et Cie Montpellier

 

ROTTERDAM le 23 septembre 1820

 

 

Nous avons bien reçu les lettres dont vous nous avez favorisé  en date du 21 Août ce 4 septembre ainsi que votre circulaire du même du dit.

Tout en plaignant ceux qui se trouveront sur les listes des morts et blessés dans l'opération gigantesque des esprits 3/6, nous nous réjouissons que la débâcle aie lieu avant les vendanges, nous flattant que l'influence que cela pourra avoir sur les prix des vins de cette année pourra donner lieu à des affaires avec ce pays moins désavantageuses que les années précédentes.

Car nous ne pourrons assez vous le répéter, il n'y a que les bons prix de vos vins qui puissent animer, car on est presque sûr de ne réaliser qu'un an après la réception, ces vins n'étant d'aucun usage jusqu'alors, tandis que les vins de Bandols s'emploient pour ainsi dire à la minute.

Non seulement qu'à proportion que les prix sont plus élevés il en coûte davantage pour l'entretien, mais les frais énormes à payer au gouvernement font redouter encore davantage ces opérations. D'ailleurs l'on ne peut pas se cacher que le débouché a considérablement diminué tant par la diminution de la consommation que par le manque d'exportation.

D'un autre côté, toutes les proportions dans les valeurs relatives ont changées de façon. Les Bandols ont considérablement augmenté en valeur, parce qu'on y a trouvé des débouchés directs, et que la Hollande y trouve une grande concurrence, tandis qu'autrefois elle y régloit le prix .

Il est arrivé ici au total, Amsterdam y compris, 4 chargements de ces vins, il n'y a pas eu de bénéfices. Du moins tout fait présager qu'on y paiera plus cher que l'année dernière.

Les Baniouls [Banyuls] qui étoient si recherchés ici autrefois, et dont un seul courtier ne craignoit pas d'acheter le même jour 3000 pipes, ne trouvent plus d'acheteurs. Il en est arrivé cette année tant ici qu'à Amsterdam 800, 900 pipes, presque toutes de bonne qualité, et quoiqu'il n'existoit plus des bons vins des récoltes antérieures, il ne s'en est réalisé qu'environ 300 pipes, presque tout à perte.

La concurrence de St Petersbourg pour ces vins ne permet pas que les prix baissent assez pour pouvoir en rétablir l'usage et nous prévoyons que bientôt on n'en entendra plus parler.

 


 

 

L'on se porte en général beaucoup plus sur les vins de Bordeaux et des environs, tout autre espèce est abandonnée à moins d'un manque absolu, lorsque l'on trouve alors des vins vieux de vos environs qui peuvent s'employer de suite, il faut donc nécessairement de très bas prix pour courir ces chances.

S'il en est ainsi, et que la qualité comme tout l'annonce soit bonne en général, nous nous déterminerions à faire un chargement, quoique nous ayons encore des vins vieux invendus, et que, par exemple pour les Saint Gilles nous préférerions sans doute la partie que vous avez ici. Si nous en avions des besoins réels, mais il s'en faut de beaucoup, et même dans ce moment nous ne pourrions pas en obtenir £ 34 comme nous vous l'avions dit

Nous sommes presque sûrs cependant que nous l'obtiendrons d'ici à quelques temps, et peut-être moins, mais ceci doit nous prouver que ce que nous pourrons faire n'est absolument que dans l'espoir d'une amélioration, tandis que nous ne prendrons des vins que pour autant que les prix soient bas et la qualité bonne.

La seule espèce de vin qui manque absolument et dont par cette raison on obtiendroit de bons prix sont les Tavels.

Nous croyons que généralement l'on se portera dans les ordres de la Hollande sur cette sorte, et nous vous en prévenons afin que vous puissiez agir en conséquence si ces vins ont bien réussis. Vous savez du reste que les besoins n'en sont pas extrêmement conséquents et nous n'aurions pas même à en faire venir de fortes parties, mais lorsque les ordres sont divisés par petites quantités, cela ne laisse pas que d'influer sur les propriétaires.

Quant aux autres sortes de vins, quoiqu'il soit toujours profitable d'avoir un assortiment, tout doit dépendre du plus ou moins de réussite, et des prix relatifs.

 

 


 

Comme cependant il pourrait vous être agréable de connaître  nos intentions de la manière la plus étendue, nous croyons, sans vous donner encore un ordre positif que l'assortissement que nous pourrions demander, sauf le changement d'après la description des qualités seroit de :

25 grosses pièces Roussillon. Ces vins sont toujours un peu plus recherchés que les Predricarlo (??) lorsqu'ils ont perdu leur douceur et il n'y en a pas.

25 id de Saint-Gilles

80 pièces de Tavel

60  muids de Langlade

20 id  Saint-Georges

Vous observerez que notre demande de Langlade relativement au Saint-Georges est en sens inverse de ce qu'elle étoit ci-devant, tandis que nous avons encore les Saint-Georges de 1812 et pas de Langlade mais l'usage de ces derniers se perd absolument

20 barriques de Muscats.

 

Les avis que nous avons de Bordeaux qui vont jusqu'au 19 du courant donnent la plus belle apparence possible pour la qualité, il paraît  qu'il se fera au total environ 1/4 moins de vin que l'année dernière, et comme les maisons angloises n'ont rien acheté alors, il est apparent que si l'on fait de bons vins, le prix y seront plus élevés qu'alors, cependant nous ne croyons pas que cela puisse engager des maisons d'ici à donner des ordres majeurs chez vous, par toutes les raisons déjà alléguées, ainsi tout ce que nous vous disons ci-dessus n'est nullement pour vous engager et précipiter des achats.

Si le Rhin avoit des besoins, on auroit cherché à s'approvisionner ici, mais nous ne voyons paroitre aucune demande.

Nous avons effectivement omis de vous entretenir relativement au Saint-Drézéry. Ce vin ne plait nullement ici, il est sec et rude. L'on ne veut pas de douceur parce qu'on sait d'avance qu'elle doit se perdre, mais l'on aime le moelleux.

Quant au vin de Saint-Georges, nous ne pouvons pas partager votre opinion que le manque de fraîcheur tiendrait au caractère de l'année. Les 5 1/2 muids reçus avant l'hiver ont conservé toute leur fraîcheur et un bouquet fort agréable, mais il faudra voir à quelle époque ils se débarrasseront de leur douceur. Jusqu'à présent, malgré la chaleur que nous avons eue, nous n'avons pas pu nous apercevoir de la moindre apparence de fermentation, nous ne serions pas étonnés qu'il en soit de même l'été prochain, au moins avons nous encore des Saint-Gilles de 1817 dont nous ne pouvons pas encore nous servir. 

 


 

 

Du reste les 200 1/2 muids de Saint-Georges sont tels que si les affaires étoient un peu animées, nous pourrions très bien les réaliser, car s'ils n'ont pas de fraîcheur, ils ne sont nullement piqués.

L'inégalité se conserve après le soutirage et d'après ce que vous nous en avez dit, nous ne savons à quoi en attribuer la cause.

Dans l'attente de nouvelles, nous avons l'honneur de vous saluer cordialement

 

 

DONISSANEUKUN (??)   FILS ET VAN SCHELLE

 

 

 

 

 

 

 


 

 


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