11 juillet 2018

Minerve et Napoléon sur l'Esplanade de Montpellier



1803. Napoléon perçait sous Bonaparte. 
On dit "Napoléon", tout court. Ou bien "Le Consul" plutôt que "le premier consul", tant la distance avec ses suivants s'est allongée.

Cambacérès, lui, est Cambacérès, consul et citoyen. Il est en train de placer autour du Premier consul une cohorte de montpelliérains : Chaptal, Cambon, Daru...  (la future  d'Abrantès s'est placée toute seule).
On le connait encore assez bien, ici, il n'a quitté la ville que depuis une dizaine d'années. 
On s'adresse à lui pour accéder au Consul.

Monsieur BILLOIN, ingénieur en chef du département de l'Hérault, malgré ses 71 ans bien sonnés et sa retraite annoncée pour 1805 aimerait terminer sa carrière en feu d'artifice (il mourra en février 1806, mais il ne le sait pas). 
Un mémorialiste de l'époque (Auguste de Labouisse-Rocheford) l'accuse de vouloir "traiter Bonaparte à la Louis XIV". Tant pis.

Avec la complicité de J.P. Blanc, architecte, il dresse son projet, recueille un aval discret de la ville, et hop, envoie le tout au second consul.
Quand celui-ci, qui est poli, répond poliment trois mots policés, on édite une plaquette soignée (à petit nombre), et on passe à la postérité, si toutefois une de ces plaquettes y passe. Las! le si consciencieux et étendu Catalogue Collectif de France n'affiche aucune bibliothèque possédant ce document.
Celle que je présente est-elle l'unique témoin de ce projet oublié?


La plaquette est assez modeste : 16 p. in 4° imprimées à Montpellier, imprimerie Fontenay-Picot, rue des ci-devant capucins, sans date (1803).

Le projet est des plus ambitieux.

Le lieu : à Montpellier, entre le Champ de Mars (aujourd'hui jardins de l'Esplanade) et la Citadelle (aujourd'hui Lycée Joffre et bastions).

La motivation : dans un français si amphigourique qu'il en cahote dans l'obscurité, M. A. Billoin clame son admiration pour le HÉROS TUTÉLAIRE (c'est lui qui majuscule) de la France.
Napoléon est courageux, héroïque même, habile, sage, modéré, prudent, zélé, infatigable, valeureux, victorieux, et surtout, il apaise les tempêtes (que d'autres nomment Révolutions).  Peut-être peut-il aussi guérir, tout au moins réconforter le riche "étranger, attiré dans notre ville pour y rétablir sa santé"?
A titre de comparaison Cambacérès, lui, n'est que prévoyant, mais tire tout son éclat d'être "rapproché de sa gloire".

Pour attester de la gloire du Héros, rien ne vaut un bon investissement dans la pierre (puisque, on l'a vu, les brochures s'envolent).
Ce sera
PORTIQUE DE MINERVE, 
À LA SAGESSE ET VALEUR DE 
NAPOLÉON BONAPARTE, PREMIER CONSUL, 
PAR LA VILLE DE MONTPELLIER 

Finalement, on est surpris du titre donné au monument : un portique? Que nenni, c'est un Temple qu'il eut fallu édifier à ce Saint protecteur de la tranquillité publique!

Et que notre triste Citadelle démantelée en profite pour se cacher derrière ce monument!

Il ne s'agit de rien moins que de construire un immense ensemble architectural contenant :

Au Nord (vers l'actuel Corum) : un ensemble immobilier de 16 hôtels (ou maisons) particuliers privés, mais soumis à "un ordre fixe pour la façade",

Au centre : le fameux PORTIQUE DE MINERVE. Long de 280 mètres, profond de 8 mètres, haut de 5,5 m. , il sera percé de 39 arcades donnant sur l'Esplanade. A l'intérieur, une "galerie marchande" (on pense à la rue de Rivoli) contient autant de boutiques que d'arcades.
Le toit de ce portique serait une vaste terrasse, servant de promenade aux montpelliérains.

Au Sud, le PALAIS (ou HÔTEL) DU GOUVERNEMENT, avec sa façade d'ordre ionique et "une partie intérieure semi-circulaire".
A quoi servira-t-il?  En cette période de transition où on ne sait pas de quoi les prochaines institutions seront faites (Préfet? Gouverneur? ), on ne se mouille pas trop. On reprend le nom de l'édifice construit pour les Gouverneurs de Languedoc fin XVIIIe siècle (au bas de la rue de la Loge, actuel Mac Do jusqu'à la rue Jacques Coeur).


Curieusement, c'est l'ornementation de ce Palais qui mobilise le plus l'imagination de notre ingénieur.
Les diverses sculptures veulent de toute évidence être un pendant de celles de l'Arc de Triomphe du Peyrou.
Elles montrent le Premier Consul terrassant la figure hideuse des factions, Minerve montrant "une Gloire, avec le mot IMMORTALITÉ".
"À L'HORIZON, ON VERRA LA MER".

Puis, on bavardera en vers lapidaires alliant NAPOLÉON et MONTPELLIER.

Des STATUES représenteront la SAGESSE, la VALEUR, la PRUDENCE, la GÉNÉROSITÉ.
Pour titiller Cambacérès, des symboles maçonniques sont disséminés ici et là : "un oeil sur la poitrine", une colonne, une règle, un compas une étoile rayonnante...


Malheureusement, les plans envoyés au 2e Consul ne sont pas reproduits dans la brochure. Ils doivent se trouver dans quelque archive parisienne.


MAIS on a besoin du soutien de  Cambacérès !
Le projet est soumis aux aléas des contingences matérielles et financières que lui seul peut résoudre.

Les ingrédients sont nombreux et coûteux :
* le terrain des deux fossés (là où passe actuellement la voie ferrée) qui appartient à l'Etat.
* les deux bastions eux-mêmes (id)
* des terrains ou bâtiments nationaux disponibles dont la vente financerait une partie de la construction (id)
* quelques centimes additionnels, quelques points de TVA (pardon, d'octroi) en plus, et une augmentation des impôts de la Ville...
* sans compter le financement d'investisseurs privés, et d'actionnaires capitalistes, qui construiront de prestigieuses maisons attenantes et contribueront par l'achat de ces terrains constructibles au financement de l'ensemble (un partenariat public-privé, en quelque sorte).

On peut rêver.

On peut imaginer la scène (et elle a dû avoir lieu, tant Cambacérès était attaché à faire remonter la moindre information au futur empereur)  de la présentation des plans à Napoléon.
Cambacérès, impeccable diplomate, traduit la conversation en :  " projet fort beau" qui "doit ajouter à la splendeur de la Ville" ... s'il peut être exécuté

Mais du comment et combien de cette possible exécution, pas un mot, pas un sou, pas un mètre carré de terrain, rien !

Finalement on se demande qui a pu croire que ce projet se réaliserait? Personne, sans doute. Ah! le rêve! 

Je vous laisse lire le projet :












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