GASTRONOMIE MONTPELLIÉRAINE SOUS LE PREMIER EMPIRE
Un carnet découvert aux Dimanches du Peyrou
m'a réservé une agréable surprise.
Son auteur, André Frédéric De LA COMBE, un écrivain (justement)
méconnu y parle, avec quand même une certaine verve, de la SOCIÉTÉ DE LA CUISINE,
ou SOCIÉTÉ DES TRENTE, fondée par Auguste TANDON en 1807 dans sa maison et
jardin de la rue du Merlan, à Montpellier (rue des Soldats actuelle).
Je parlerai dans quelques temps plus
longuement de cette Société.
Me voici donc à publier une glose avant de
publier le texte principal.
Grâce à l'amabilité de Fabrice Bertrand qui n'hésite pas à communiquer son immense savoir, je suis à même de donner un peu de précisions sur mon auteur.
Il s'agit de (André) Augustin de La Combe, né à Montpellier le 5 sept 1758, mort dans l'hôtel de Gironne le 3 août 1837. Il s'était marié le 1 mai 1792 avec Péronille Ricard. Il était fils de Augustin, négociant originaire de Saint-Bauzille de Putois et de Marianne Bonnet.
Son fils aîné , né le 10 mai 1802 sera, lui, banquier, et maire de Montpellier du 27 avril 1874 au 18 mai 1876. Il habitait dans son hôtel, 41 rue de l'Aiguillerie, où il est mort le 13 février 1880.
Grâce à l'amabilité de Fabrice Bertrand qui n'hésite pas à communiquer son immense savoir, je suis à même de donner un peu de précisions sur mon auteur.
Il s'agit de (André) Augustin de La Combe, né à Montpellier le 5 sept 1758, mort dans l'hôtel de Gironne le 3 août 1837. Il s'était marié le 1 mai 1792 avec Péronille Ricard. Il était fils de Augustin, négociant originaire de Saint-Bauzille de Putois et de Marianne Bonnet.
Son fils aîné , né le 10 mai 1802 sera, lui, banquier, et maire de Montpellier du 27 avril 1874 au 18 mai 1876. Il habitait dans son hôtel, 41 rue de l'Aiguillerie, où il est mort le 13 février 1880.
Nous sommes en 1809 ou 1810.
De LA COMBE fréquente et apprécie cette Société
de convivialité masculine consacrée à la gastronomie.
Et ses 138 alexandrins nous donnent force
détails sur les goûts gastronomiques des montpelliérains sous le Premier
Empire.
Nous y
trouvons confirmation que les montpelliérains sont de très gros mangeurs de viande. Les chiffres de l'octroi étudiés par
Yvette Maurin[1] nous
apprenaient qu'ils consommaient 25 k de viande par personne et par an (contre
18 k pour la moyenne des français) auxquels s'ajoutent les volailles et les 10
k. de poisson. Sans compter les aloyaux entrés clandestinement dans la ville
sans payer l'impôt. Nos bons vivants font monter les statistiques.
Nous en apprenons aussi un peu plus sur les
moeurs de l'époque, prostitution ou libertinage d'Ancien régime.
Voici
donc ce "poème". A noter
que le manuscrit ne porte en général pas
de majuscules en début de vers, ce qui accentue le prosaïsme du texte.
J'ai rétabli la ponctuation lorsque c'était
nécessaire. Je n'ai reproduit les fautes d'orthographe que lorsqu'elles ont un
quelconque intérêt. J'ai divisé le texte
en sections pour aérer sa lecture. Les chiffres entre parenthèses numérotent les vers).
LA CUISINE, poème Héroïcomique par Mr DELACOMBE
Je chante les héros de la chère divine
les enfants de Comus, les dieux de la cuisine
que l'on a vu souvent les armes à la main
chanter[2],
rire, manger jusques au lendemain
et se rendre fameux dans plus d'une bataille
contre les petits-pieds et contre la volaille.
O Muse inspire-moi dans ce noble projet
et toi Vatel aussi, digne d'un tel sujet
qui ne put un instant survivre à la pensée
dans un festin royal, de manquer de marée. (10)
Par ce trait héroïque échauffe mon cerveau,
Par ce trait héroïque échauffe mon cerveau,
dicte à nos cuisiniers, du fond de ton tombeau,
des lois sur la cuisine et sur ton ordonnance
des repas somptueux, c'est la grande science
fait que s'il leur arrive un contretemps fâcheux
imitant ton exemple en homme valeureux
ils percent sans frémir leur bedaine
engraissée
d'un coup de tranche-lard, au défaut d'une
épée.
Vous connaissez, amis, le quartier du Merlan[3]
il n'est aucun de vous qui n'ait en son
printemps (20)
visité quelques fois cette étroite ruelle
qui fut l'écueil, hélas, de plus d'une
donzelle[4].
L'on y trouve un jardin charmant et mistérieux
azille impénétrable aux regards des curieux
c'est là que se rendait un favori des muses[5]
un philosophe aimable et si je ne m'abuse
il y sacrifiait en l'honneur de Vénus
il y goutait par fois des plaisirs défendus.
C'est dans ce lieu charmant qu’enivré de
délices
il bravait des méchants la haine et les
caprices (30)
qu'avec sa bonne amie, sans témoin et sans
bruit
il prenait ses ébats dans l'ombre de la nuit[6].
Il l'avait embelli d'emblèmes, de figures
dont l'aspect au plaisir excitait la nature[7].
Mais malheureusement on ne peut pas toujours
en jeune Celadon servir le dieu d'amour
il faut abandonner ses drapeaux, sa bannière
et se ranger sous ceux d'un dieu plus
débonnaire
c'est aussi ce qu'a fait l'illustre fondateur
de cette réunion de charmants ribotteurs. (40)
Vrais épicuriens, gourmands de toute classe[8]
des docteurs, des savants du double mont
Parnasse
avocats et bourgeois, magistrats et guerriers
fin ancien fournisseur, négotiants, banquiers
c'est là qu'au dieu Comus l'on fait des
sacrifices
qu'on boit à l'amitié, qu'on mange avec délices
une fois la semaine on célèbre un banquet
et souvent même deux quand l'occasion le fait
s'il s'agit de chomer[9],
d'une dinde truffée
ou bien d'un pâté froid l'agréable arrivée. (50)
On y voit tour à tour établis à grands frais
des tons [thons] péchés au loin malgré les fiers anglais[10]
des jambons succulents venus de Vesphalie
(sic)
des saumons arrivés par la messagerie
des huitres, des rougets, des turbots, des
gougeons
des soles, des brochets, enfin tous les
poissons
que fournissent l'étang, la Méditerranée.
Un pâté de morue aux truffes apprêtée
un aloyau de boeuf qu'un ami complaisant
a porté de Lyon et dont il fait présent (60)
la poularde au gros sel, une gigue attrayante
un filet de chevreuil à la sauce piquante[11]
la bécace (sic) au long bec, des cailles, des vanneaux,
des canetons farcis autour d'un beau panneau
des truites qu'on a pris dans le lac de Genève[12]
pour ces pauvres enfants de la bonne mère Ève.
C'est le cas de parler de ce coup du milieu[13]
qui rouvre les conduits et surtout donne lieu
de faire en ce moment la pause salutaire
dont on a grand besoin, quand on fait bonne
chère. (70)
J'ai toujours eu du goût pour le point du milieu
J'ai toujours eu du goût pour le point du milieu
le centre à mon avis est un morceau de dieu.
Disons un petit mot de la fine salade
d'un genre tout nouveau et qui n'a rien de
fade
comme notre laitue et d'autres végétaux
qu'il faut abandonner aux tristes animaux
mais de cette volaille appelée bayonnaise
excitant l'appétit par un excellent choix
de truffes, cornichons, câpres, persil,
anchoïes
plat favori d'Amat[14]
qu'ici je suis bien aise (80)
de trouver l'occasion de louer dans mes vers
je lui dois cet hommage : il a dans vingt hiverts
exercé son talent de plus d'une manière
pour flatter nos palais pour tenter de nous
plaire
en variant ses mets, en soignant ses coulis
en décorant les plats à l'instar de Paris
je veux lui dédier quelque jour une épitre
je lui dois cet honneur à plus d'un juste
titre
comme fit Frédéric[15]
à son cher cuisinier
et tressant avec soin les feuilles de laurier (90)
qu'il met dans ses ragouts, lorsqu'il les
assaisonne,
ceindre son bonnet blanc d'une double
couronne.
Il me semble de voir ces légers entremets
ces gâteaux à la broche et ces beignets sucrés
et tout ce qui compose un troisième service
ouvrages préparés avec art dans l'office
qu'on ne dédaigne point sur la fin du repas
et dont les vrais gourmands savent faire un
grand cas.
Les prémices des fruits, soustraits à la gelée
dans une vaste serre à grands frais échauffée (100)
des fraises, des melons et souvent en hivert
en dépit de Boileau on mange des pois verts.
L'ennui n'a point d'accès dans cette compagnie
l'on en bannit bien loin les chagrins de la
vie
en buvant à longs traits les vins les plus exquis
de toutes les espèces et de tous les pays
le tavel capiteux, bordeaux, Cotte rôtie
le champagne mousseux, bourgogne et malvoisie
St Pierre, Carbonnieux, le Chypre goudronné
le madère fameux, le frontignan doré (110)
grenache, rivesaltes et le vin de Constance
enfin tous les nectars les plus prisés de
France
riche produit des plants consacrés à Bacchus
qu'on connaissait à peine au temps de Lucullus
cet homme fastueux dont la magnificence
des plus grands souverains égalait la dépense.
Mais qu'il me soit permis en passant
d'observer
un point essentiel : on aurait du tracer
dans la salle à manger cette belle sentence
écrite en lettres d'or et de grande importance (120)
en tout
temps buvez frais[16],
mangez toujours bien chaud
force
glace en été, dans l'hiver des réchauds
et d'un autre coté, ces mots pleins de
prudence
qui valent d'un docteur la rigide ordonnance
buvez du
bon vin vieux et jamais du nouveau
gardez-vous
bien surtout de l'affaiblir par l'eau
rien n'est plus dangereux, n'abrège plus la
vie
que ce mélange affreux, source d'hydropisie
le bon vin donne à tous un petit grain
d'esprit
chacun, de son talent, y fait valoir le fruit. (130)
Il n'est point défendu d'y parler politique
mais sans fiel, sans aigreur et jamais la
critique
des rois ou des sujets n'improuve les travers.
À ces bons réjouis qu'importe l'univers.
Bonne chère, bon vin, près d'une table ronde
la chanson, l'amitié, pour eux voilà le monde
ainsi, buvant, mangeant d'assez bon appétit
très agréablement le temps coule et s'enfuit (138)
FIN
Ce texte est extrait d'un carnet manuscrit
broché dans une reliure velin à rabat et lacet, portant, sur la quatrième de
couverture l'inscription à l'encre :
Oeuvres / Tome 3me / De Delacombe / ainé negt ou / Enfants de ses / loisirs / depuis 1800 à
1810.
Le carnet est paginé de 75 à 179 (quelques
feuillets vierges).
Ce texte occupe les pages 119 à 126.
Ce Delacombe semble faire le commerce de
toutes sortes de denrées. Une "Lettre de commerce en vers" datée
du 27 germinal an 13 accompagnant une
barrique de Sandal (?) décrit ses activités à son correspondant :
Si vous tenez la pharmacie
je fais aussi cette partie
j'ai du séné de Tripoly
du beaume de Floraventy
de l'opium, de l'ypécacuaua
du camphre et du quinquina
j'en fournis Vic et Villeneuve
Pérols en fait aussi l'épreuve
je leur garantis le succès
dans trois jours ils n'ont plus d'accès.
J'ai l'entreprise de l'armée
elle se trouve constipée
par l'ardeur de tous nos soldats
qui brûlent d'aller au combat.
Je viens d'envoyer à Mayence
une voiture en diligence
chargée de trente caissons
contenant kermès, sel d'ipsum (?)
semencoutra mise en vessie
cantarides et magnésie
tartre, casse, assafetida
mauve en l'arme et caetera.
Je tiens la foire de Beaucaire
nous pourrons faire quelque affaire
en tout je suis bien assorti
et puis vous servir en ami.
D'autres textes de ce carnet complètent (peu
et mal) le portrait de l'auteur.
Il va à Maguelone en bateau avec Mlle du
Cayla. Il fréquente une comtesse russe qui se soigne à Montpellier.
On ne sait rien de ses choix politiques sous
la Révolution, mais l'Empire lui semble un excellent "juste milieu",
et il admire Cambacérès à qui il adresse une épitre louangeuse. [Son fils sera, de 1874 à 1876 maire de Montpellier, de tendance royaliste légitimiste]
Nous l'avons vu colporter des ragots sur la
jeunesse de Tandon. Le Maire (Pierre
Louis Granier) lui-même n'est pas à l'abri de sa Satire :
Jeudi dernier sur l'Esplanade
notre maire en grande parade
donnait le bras à sa p[utain] ...
Nous ne sommes pas surpris, d'après son idéal
gastronomique de le voir maudire ses d'hémorroïdes :
Si vous revenez, traitresses
vous loger entre mes deux fesses
je vous traiterai durement !
Il écrit aussi en patois (comme tout le
monde) des anecdotes égrillardes, comme cette apostrophe à Mme R... qui avait soulagé un besoin pressant assez mal
à propos :
Ye pensas pas
de pissa davant tout lou mounde
...
una aoutra fes
segas un paou pus reserbada
una aoutra fes
se me creses ou gardarez.
Pissas pus leou dins la camisa
que de fayre aquelle soutisa
...
Notons pour terminer et avant d'éventuelles
nouvelles recherches que le Pr Dermigny, dans son étude sur le commerce des
toiles indiennes cite un F. Delacombe qui, en 1796, achète pour 250 000 livres
en assignats la campagne de Moncoussou (?) [cité par P. Clerc dans son Dictionnaire de biographies héraultaises].
Par ailleurs, les papiers d'Auguste Tandon
concernant la Société de la cuisine ne mentionnent jamais Delacombe comme
membre du Club des Trente. Il a donc rejoint le groupe après sa fondation en
1807, ou n'a été qu'un de ses invités habituels prévus dans les statuts.
Vous serez bientôt invité à rejoindre la
Société de la Cuisine, ou des Trente, como voletz...
[1] - Yvette Maurin : Le marché urbain de la
viande à Montpellier au début du XIXe siècle d'après l'octroi. In : De l'herbe à
la table. La viande dans la France méridionale à l'époque moderne. Colloque, Montpellier, 1993.
[2] - La présence du chant est soulignée par ce
texte, alors que les statuts méticuleux de la Société n'en parlent jamais.
[3] - Rue du Merlan : actuelle
rue des Soldats, entre faubourg du Courreau et cours Gambetta.
[4] - Les petites rues entre
Courreau et Gambetta, situées aux abords immédiats de la caserne militaire qui
occupait l'emplacement actuel de la Sécurité Sociale, mais également de l'École
de droit, étaient le siège de bordels et de nombreuses petites maisons de
prostitution.
[5] - Il est bien évident que ce "favori des
muses" est Auguste Tandon, poète français et occitan, propriétaire de
cette maison avec jardin, où, en 1807, il établit "La Société des
Trente", autrement nommée "la Société de la Cuisine". Sa
réputation de poète, de philosophe et de bon vivant était bien établie à Montpellier.
[6] - Sa "bonne amie" était-elle la
future Mme Tandon, ou une autre? Auguste Tandon avait épousé le 30 juin 1781
Thérèse Lassalvy.
[7] - La décoration de cette garçonnière par des
gravures érotiques est un aspect inconnu d'Auguste Tandon, poète bon vivant
certes, mais notable protestant, et respectable agent de change. Il est vrai que Delacombe fait remonter tout ça à l'Ancien
Régime, aux temps de Louis XV et Louis XVI.
[8] - Après Auguste Tandon, Delacombe
"balance" les autres membres de la Société de la Cuisine.
[9] - Chomer ??
[10] - Ah ce blocus anglais !
[11] - Sur le tableau constitutif de la Société,
une vignette porte la légende : "La majorité fut pour la sauce
piquante".
[12] - Curieusement, les truites ne viennent pas
des Cévennes, mais de Genève. Déjà, en 1677, John Locke, séjournant à
Montpellier notait : "J'ai mangé de la truite apportée de Genève à
Montpellier. Elle était blanche mais elle avait bon goût et elle mesurait 3
pieds et 4 pouces de long" (près d'un mètre!). (Carnet de voyage
publié par Guy Boisson et Marie Rivet).
[13] - Autre nom du 'trou normand'.
[14] - Identifier ce cuisinier traiteur.
[15] - Frédéric II de Prusse.
[16] - John Locke, toujours, est surpris le 4
janvier 1676 : "Même à cette époque
de l'année, on met la boisson en bouteille dans de la glace pour la rafraichir". En Languedoc, au XVIe, XVIIe, XVIIIe et même
XIXe, le vin, qu'il soit d'ici, de Bordeaux ou d'ailleurs, se boit très frais.
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