4 avril 2012

LA RENOVATION LITTERAIRE : Le Décadentisme, voilà l'ennemi !! Une revue littéraire conservatrice entre Montpellier et Le Vigan : 1893

LA RENOVATION LITTERAIRE. Le décadentisme voilà l'ennemi. Revue littéraire de Montpellier-Le Vigan en 1893


Rénovation, restauration, modernisation... Comme toujours, l'emploi de ce genre de termes est un indicateur infaillible du  plus crasse conservatisme.

1893 La Rénovation littéraire
Organe de lutte contre le décadentisme
Journal littéraire, artistique, satirique et humoristique.
Devise :  Le décadentisme, voilà l’ennemi!...
Rédacteur en chef : Joseph Puech.
Président d’honneur : Léo Tess
Comité de rédaction : Paul Courcoural, critique littéraire ; P. Laurac, compositeur ; Auguste Saruet, chroniqueur humoristique ; Gaston Bènes, Agénor Pransey, Vernay, chroniqueurs ; Jules de Pergam, critique dramatique.
Bimestriel.
Siège : 16 rue Auguste Comte, Montpellier (en écrivant ceci, je vois de ma fenêtre la petite maison du 16 rue Auguste Comte, qui devait être bien neuve en 1893). Mais l'origine du journal est au Vigan dans le Gard et la revue a des liens très étroits avec Bordeaux.
Imprimerie Firmin et Montane, Montpellier
27 x 34 cm.
La revue a certainement débuté le 1 janvier 1893, j’ignore sa fin.

SEULS NUMÉROS RETROUVÉS : N° 5 (1 mars 1893) -> N° 8 (15 avril 1893).

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Tonalité  :
                  Comme son nom et sa devise l’indiquent, il s’agit d’un mouvement de réaction contre le décadentisme. En 1886, Anatole Baju fondait Le Décadent et parlait de décadisme dans son éditorial, à la grande joie de Verlaine : “Décadisme est un mot de génie... Ce barbarisme est une miraculeuse enseigne”. C’est pourtant le mot de décadentisme qui s’impose peu après.
                  La Rénovation littéraire entend s’opposer à ce courant verlainien. Mais alors que les décadents ne se situent que sur le plan artistique, la revue entend porter aussi le débat sur le terrain politique et social, voire religieux. C’est donc un retour à une forme littéraire classique (Racine est cité au moins une fois par livraison), mais aussi à un ordre moral et à un patriotisme militant que prône le journal. Son héraut pourrait être Déroulède, pourtant curieusement ignoré. En fait, c'est, avec un lustre d'avance, une préfiguration un peu terne de L'Action Française (qui sera d'ailleurs violemment rejetée après sa condamnation par le Vatican).
                   Voici par exemple une critique de Mallarmé par Courcoural :
Rien cette écume vierge vers
A ne désigner que la coupe
Telle loin se noie une troupe
De sirènes mainte à l'envers

                     "Ma foi, c'en est fait de moi!... car ce quatrain m'est incompréhensible, et je crois qu'il a eu raison, l'auteur, de placer au début le mot : rien. Cette écume... quelle écume? Vierge vers... vers quoi! on est vierge vers quelque chose ou quelqu'un, maintenant? Ah! non, c'est trop fort! et je ne puis admettre pareilles bévues... C'est-il drôle tout de même! C'est révoltant aussi de voir ainsi torturer la construction française... "

Responsables : 
                    Joseph PUECH et Paul COURCOURAL (qui signe aussi Vindomagus) sont surtout connus (?) pour être les rédacteurs en chef et chroniqueurs de L’Indépendant des Cévennes, journal conservateur, politique et littéraire de l’arrondissement du Vigan.

Joseph Puech sera encore responsable jusqu'en 1942 au moins de L'Echo des Cévennes, journal du Vigan.
                    Paul Courcoural sera longtemps un des piliers du conservatisme catholique bordelais, d'abord proche de l'Action française puis s'opposant violemment à cette bande d'hérétique maurrassiens. 


Paul Courcoural et l'Action Française


                    Léo Tess, de Sète, Président d'honneur, (de son vrai nom L. R. Josset) lui-même n'a pas laissé de souvenir impérissable. Renvoi d'ascenseur : quand il publie Amour et patrie, journal d'un soldat, 1870-1871 en 1898, c'est Joseph Puech qui préface son livre.

  La Rénovation littéraire est donc la seule des revues spécifiquement littéraires d’avant-guerre étudiées ici à ne pas avoir une base étudiante. Si l’origine extra-montpelliéraine de ses membres ne surprend pas (L’Aube méridionale est biterroise,  Pan nettement rouergat...), il faut quand même noter que ceux-ci conservent leur principale activité et sans doute leur domicile en Cévennes, et sont donc relativement coupés de l’intelligenzia de la métropole héraultaise.

Jean-Lucian ALQUIER, un Audois ambitieux


Grands invités :

                    Sur les quatre numéros que j’ai pu analyser, je n’ai rencontré qu'une signature ayant une résonance extra-régionale, celle de Paul Courcoural, par qui se fait la liaison avec Bordeaux (et qui a même une page Wikipedia). Même Léo Tess, dont la présidence d’honneur figure en proue de revue, est désespérément absent des débats du temps. Son rôle d’opposant au décadentisme a par exemple totalement échappé à Louis Marquèze-Pouey dans sa grande étude sur le mouvement.                      

Et pourtant, les responsables du journal sont des lecteurs frénétiques. Ils sont au courant de tout ce qui s'écrit et se publie dans la poésie la plus neuve.  Ils connaissent les jeunes poètes, les nouvelles revues, la littérature la plus contemporaine. C'est très rarement le cas par exemple des journeaux étudiants de la même époque, qui sont toujours en retard d'une vague et ne découvrent les "jeunes" que lorsqu'ils entrent à l'Académie. La Rénovation littéraire ne combat que la plus brillante avant-garde. Un très bon point pour cette revue. 

Par exemple, notons la présence  de Paul Redonnel qu'on peut donc considérer comme invité malgré lui dans un petit poème envoyé de Bordeaux par Auguste Lagrange, où le rédacteur de Chimère est en fort bonne compagnie :

Bordeaux les a vaincus, les impurs décadents.
Ecrivains sans génie, immoraux, impudents,
Ramassis éhonté de névroses sophistes,
Novateurs malheureux des règles symbolistes.
Aristide Bruant et son laid mirliton,
Redonnel, Mallarmé, le seigneur de Gourmont,
Deschamps, le directeur de la gente Plumée,

Laforgue, Paul Verlaine et Fabrice Lémon,
Attendront vainement, ici, la renommée.
Rédacteurs ténébreux du défunt Chat-Huant,
Restez, restez en paix, omnipotents confrères,
On peut vous terrasser, disciples de Bruant,
Un peuple de guerriers, littérateurs austères
Demain se lèvera... Mais vous avez tous fui!
Ecrivains décadents, pour nous l’Idéal luit!


Quelques personnalités :
                   A part les dirigeants, les autres participants me demeurent obscurs.
                   Il faut pourtant s'étonner de la présence d'Evariste Carrance, passé à la postérité pour avoir, par hasard, primé et imprimé un chant de Maldoror de Lautréamont en 1869, un an après la publication par l'auteur. Il est vrai que c'était 25 ans avant et que depuis, il ne s'est rien passé dans la vie de Carrance (voir là aussi Wikipedia), et qu'il publie ici des vers d'une minable banalité...

Réseau :
                  Il semble que l’ambition d’un réseau national de contre-offensive se soit borné à des liens étroits avec un groupe bordelais (ville de Paul Courcoural et d'Auguste Lagrange) partageant les mêmes vues.
                  La participation, isolée, de Jules Fagnant, de Levallois-Perret, ne constitue pas un réseau.

Grand moment :
                  Il faut attendre le N° 8 pour que paraisse un très long article : "Première escarmouche", pour que Paul Courcoural trouve enfin (les premiers mots sont : "Enfin, la lutte s'engage..." ) un adversaire à pourfendre. Il s'agit de Georges d'Ailly qui se dévoile à nous en se disant responsable de La Syrinx : c'est Joachim Gasquet (membre avec Valéry de La Pléïade méridionale, ami et modèle de Cézanne, puis félibre proche de Maurras), fondateur de la revue aixoise La Syrinx, collaborateur de La Plume, qui défend ici un classicisme moderne, trop moderne quand même...


             

Défenseurs de l'honneur des Lettres et de la vertu de la France littéraires. Mais où sont les Vices, où est la Vertu?


Aux sommaires :
N°1 à n° 4 [Numéros non retrouvés]
N° 5, 1 mars 1893
M. d’Arcourt, Paul Courcoural (Vindomagus), Joseph Gantet, J. Mercadier, J. de Pergam,  Joseph Puech, Gabrielle Puech-Vassas, Yves de Saint-Maur, Léo Tess, J.M. Vernay.
Très long et vindicatif article contre les poèmes de Mallarmé publiés dans La Plume.
Critique enthousiaste de  Mademoiselle de Circé d’Ernest Daudet dont le neveu Léon sera le pilier de l'Action Française.
N° 6, 15 mars 1893
M. d’Arcourt, Albert Arnaud, Evariste Carrance, L. Caumer, Paul Courcoural, Jules Fagnant [de Levallois-Perret], Edward Faucher, Josset (id est Léo Tess), Gustave Lions, J. Mercadier, Joseph Puech, Gabrielle Puech-Vassas (qui signe un hymne à sa ville natale : Le Vigan) , J.M. Vernay.
N° 7, 1 avril 1893
Albert Arnaud, Etienne Builles, Evariste Carrance, Gabriel Colmar, Paul Courcoural, Jules Fagnant [de Levallois-Perret], Auguste Lagrange, Gustave Lions, J. Mercadier, Joseph Puech, Gabrielle Puech-Vassas, Yves de Saint-Maur.
N° 8, 15 avril 1893
Jean-Lucien Alquier, Albert Arnaud, Evariste Carrance, Paul Courcoural, Josset, Gustave Lions, J. Mercadier, J. de Pergam, Joseph Puech, Alexandre Saumade.
Sous le titre Première escarmouche, 7 colonnes sont consacrées à une attaque en règle de La Plume déclenchée par une lettre de Joachim Gasquet (qui signe Georges d’Ailly).


                 Je ne connais d'autre collection que mes 4 pauvres numéros. Même la BNF ignore ce titre : ces adeptes de l'ordre moral ont négligé leur devoir civique de dépôt légal.

Le journal a eu un essai de postérité par Paul Courcoural en 1894 au Vigan : 

La Jeunesse française, revue nationale, littéraire et artistique paraissant le 20 de chaque mois

directeur Paul Coucoural

Numérotation : N° 1 (janvier 1894)-n° 2 (février 1894) [?]

Ville (siège du journal) : Le Vigan

Période de parution : 1894

Format : 27 x 19 cm

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