7 janvier 2012

Joseph Delteil traducteur de Frédéric Mistral : beaucoup de bruit pour pas grand chose. Avec une lettre inédite du même

            J'ai failli ne pas publier ce billet. Après deux jours de lecture et relecture, ce sujet sur Joseph Delteil traducteur de Frédéric Mistral, qui me paraissait évident depuis 30 ans, me le semblait moins.
            Mais finalement, maigre cueillette est quand même cueillette, et trouver peu est quand même une information.
            D'autant qu'il y a tapage sur le sujet, et que j'avais en main des pièces inédites.
      
            Reprenons dans l'ordre chronologique.
            Le premier texte publié de Delteil l'est en occitan.
            Dès 1928 (il a 34 ans), dans De J.-J. Rousseau à Mistral, il pousse un grand coup de gueule (intitulé : Cri, Mistral, Mer.) Il vient de recevoir, des "ayant-droits", la veuve et le neveu du Nobel, un VETO pour son projet de traduire Mireille. Il voulait rendre Mistral lisible à Paris, à Moscou, à New-York. Or, une bande de provençaux locaux accapare et momifie Mistral... ce véritable pain de vie. 
             L'hostilité des ultra-frileux félibres contre ce sulfureux trublion n'étonnera que lui. La postérité mistralienne (et le vieux maître lui-même) ont étouffé le maître.
             Et puis Mistral lui-même avait traduit ses oeuvres pour les publier (En 1973, dans la préface de Nòstre Sénher lo secong, Delteil dira que Mistral pensait en français et traduisait en provençal). Cette Vulgate (assez minable comme TOUTES les auto-traductions occitanes, c'est une calamité poisseuse), doit suffire.
NRF 1 mai 1930 : Delteil  traduit Mistral.
          Il est vrai que proclamer d'emblée qu'on va traduite chato par chatte, et auparavans vosto fourcolo jitara flour (votre fourche fleurira avant que...) par : quand les papillons porteront des bretelles ne facilite pas les négociations.
          Et s'il y a mis en plus son credo de traducteur : Traduire, il me semble, n'est pas autre chose que la machine de Chicago : on met un cochon à un bout, il en sort incontinent saucissons et boudins à merveille. Non pas des copies, mais des formes nouvelles. 
          A Maillane, on tique lorsqu'on mélange Mistral et les cochons.
          Les formes nouvelles si on en croit les Essais et possibilités pour une traduction de Mireille  parus dans la NRF de mai 1930 sont taillées à coup de serpe :  les 35 premiers vers (5 strophes) de Mirèio se réduisent chez Delteil à 2 lignes, 21 mots!

           Cet essai de traduction étant public (la NRF, ça se trouve!) je n'en parlerai (presque) pas.

            Mais j'ai en main un exemplaire de Mirèio chez Lemerre, sans date mais des années 20 qui a appartenu à Joseph Delteil et qui lui a servi pour ses traductions. L'exemplaire est usé, dos (fra)cassé, et porte pas mal de notes au crayon gris. Malheureusement pour leur lecture et mes yeux, gris et non noir.
            Or, ces notes, depuis 2 jours déchiffrées et relues, sont en deça de mes attentes. Elles ne bouleversent pas la traduction donnée par Mistral, elles la corrigent. Révisionnistes, pas révolutionnaires.
            Je me contenterai d'en donner quelques unes. Dans l'ordre : le texte occitan de Mistral, sa traduction française et la proposition de Delteil. Les mistraliens retrouveront les textes.

Chant premier de Miréio . Notes de Joseph Delteil
* Coume éro / Rèn qu'uno chato de la terro, / En foro de la Crau se n'es gaire parla. = Comme c'était - seulement une fille de la glèbe, - en dehors de la Crau il s'en est peu parlé. => Ce n'était qu'une fille des champs, hors de la Crau il ne s'en parla guère. Chato devient Fille, mais la phrase disparaît toute entière dans la NRF.
Arrigoler sa provende
* La chatouno venié d'arriba si magnan = La fillette venait de donner la feuillée à ses vers à soie => d' arrigoler la provende. Obscure fantaisie.


La cigale a claqué! Ma voix n'est qu'une vieille arête
* Li mirau soun creba =  les miroirs sont crevés => la cigale a claqué (élytres) : Ici Delteil reprend la note de Mistral : "En provençal, on appelle mirau les deux petites membranes luisantes et sonores que les cigales ont sous l'abdome".

* Ma voues noun a plus que l'aresto = Ma voix est un épi égrené => N'est qu'une vieille arête / N'a plus que l'arête (la peau et les os). Comme souvent, c'est la sonorité du mot occitan qui commande le choix du mot français.


* D'ensaca l'Anglès = de battre l'Anglais => de mettre dans le sac l'Anglais. Delteil traduit littéralement certains mots . Ensaca, c'est littéralement ensacher. D'où mettre dans le sac.
* desbrando = déroute => débandade. Même remarque.
* nous baiè proun peno : nous donna de peine = nous donna grand peine
* broufounié = tourmente => coup de vent

O tron-de-bon-goi
* O tron-de-bon-goi = O tron-de-bon-goï (Mistral ne rejoute qu'un tréma) => Tonnerre de Dieu. Là où Mistral est brillant en conservant le juron tel quel, Delteil, on ne sait pourquoi, l'afadit en français.

           Voici encore quelques notes. Je ne suis pas exhaustif.

* mar que bramo = mer qui mugit = mer qui brâme.

* Di nemi pamens = Des ennemis cependant = pas moins. Ici, Delteil fait volontairement un contresens, pour rapprocher les ennemis de ce combat naval. 

* E vougnen-lei dur 'mé d'òli de-z-Ai! = Et oignons-les ferme avec l'huile d'Aix => Or oignons-les ferme à grand'huile. Dans son Trésor du Félibrige, Mistral traduit Oli de-z-Ai par Huile d'Aix, en précisant que c'est, proverbialement,  la meilleure du monde. Delteil supprime ce provençalisme.

embourgnè = aveugla => emborgna.

l'oustau, la calanco = la maison, l'anse du rivage => le mas, la calanque. Ici, Mistral gomait la couleur locale, Delteil la retrouve.

* pèr l'apara (lou rèi) = pour le défendre (le roi) => pour parer le roi . Le contresens voulu par Delteil pour conserver la sonorité du vers fait image.

            Bon, je ne relève pas toutes ces notes. Elles n'aboutiraient finalement qu'à un toilettage du texte mistralien. Moi, je suis encore sur ma faim, mais je tiens mon exemplaire à la disposition des mistraliens et des delteillens. 
            Mais voici un assez beau lot de consolation : une lettre, que je crois inédite, de Delteil à Yves Rouquette sur la traduction occitane d'un de ses textes. Je ne crois pas qu'il s'agisse de  Jésus II (Nòstre Sénher lo second) publié par l'I.E.O. en 1973, et préfacé par Delteil avant publication. Ni de Colerà paru en 1993 et dont le titre n'aurait pu le surprendre.
            Sans doute un texte paru en revue?
Lettre de Joseph Delteil à Yves Rouquette sur une traduction occitane
11 - 8 - 77
             Cher Yves Rouquette,
          Je suis bien en retard – mais j'ai été malade, et c'est pourquoi nous sommes encore ici – pour venir vous dire mon étonnement et mon plaisir. Oui, c'est ça qu'il faut faire, à pleines mains, notre langue. Quel magnifique titre!  Et j'y devine (suis-je le seul?) je ne sais quelle sauvage liberté (celle qui se moque du mortuaire mot à mot) d'indicibles retrouvailles, comme si vous aviez osé ce coup-ci vous réfugier allégrement dans votre nature. Est vieux catholique qui préfère le Pape à l'imagination. Mais préférons toujours le premier mouvement : c'est lui qui voit juste. Et, à mon âge, je veux vous dire, à vous surtout, comme je suis heureux, le tempérament heureux, de voir cette expansion, cette ascension de l'occitan (par rapport à notre pauvre 1920). Bravo! Je vous embrasse.
                                                                                          J Delteil
                   Et j'embrasse Marie Rouanet


           Delteil meurt le 12 avril 1978.




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