27 novembre 2011

Une spiritualité protestante suspecte chez Le Libertin de Montpellier : Attention, dernier exemplaire!

Méditations spirituelles par Daniel Peyrol
MEDITATIONS 
SPIRITUELLES
Desquelles on peut user en la 
prière, mesmes au temps 
d'adversié, & quand on a 
besoin d'estre consolé par 
l'esprit de Dieu
par
Daniel PEROL, ministre du 
S. Evangile en l'Eglise de 
Mont-pellier.
A Montpellier
par Jean GILLET
M.DCIII.

          Encore un livre dont, me semble-t-il, il n'existe plus que cet exemplaire. Jean GILLET, qui est rappelons-le, le premier imprimeur établi à Montpellier et qui signe aussi ses éditions : Le Libertin,  est décidément spécialiste de ces surprises. Je reste persuadé que sa bibliographie connue n'est qu'une petite partie de sa bibliographie réelle : il éditait surtout des livres protestants plus ou moins orthodoxes (y compris chez les Réformés eux-mêmes) et il a disparu corps et biens lors du siège de Montpellier de 1622 où les Protestants ont été fort malmenés par Louis XIII et la population catholique réunis. A l'issue du siège, il ne faisait sans doute pas bon d'être trouvé en possession de livres hérétiques et beaucoup d'entre eux ont été détruits ou cachés. Les églises catholiques et les livres réformés ont été de grosses victimes des féroces luttes religieuses montpelliéraines.
         Donc, les livres imprimés par Jean Gillet ont une facheuse tendance à disparaître.
         Nous allons voir que ceux de DANIEL PEYROL, l'auteur de notre ouvrage ont le même penchant .
          DANIEL PEYROL, naît à Die, dans la Drôme, vers les années 1560. Son père y est Procureur du roi.
Cette origine drômoise explique la dédicace du livre à Très sage et vertueuse Dame Jeane d'ALIAN, Dame du POËT, qui est plongée dans "un océan d'amertume" par la mort de son mari, le Seigneur du POËT, gouverneur de Montélimar et de Crest, que CALVIN disait "général de la Religion en Dauphiné".
         Ce Louis de BLAÏN avait été un des premiers lieutenants du duc de Lesdiguières en Dauphiné.  Terrible guerrier, il avait aussi introduit l'imprimerie à Montélimar. Son genre de mort tant estrange, suite à un duel avec René de La Tour Gouvernet le 11 avril 1599 est ressenti par sa veuve presque comme un deshonneur. Ces Méditations spirituelles sont destinées à "remettre [la dame] sur le nuage d'un esprit tranquille et reposé."
          Apparemment, le message est passé puisque la dame se remaria rapidement avec Louis de Bologne, et mourut en 1612.
Dédicace à Jeanne d'Alian , dame de Poët

          En 1578, PEYROL entre dans la Compagnie de Jésus et il est encore Jésuite lorsqu'en 1596 il renonce à l'héritage de son père.
          Or, après 20 ans chez les Jésuites, le voici en 1598 demander à devenir pasteur de la Religion réformée à Montpellier, et être nommé tel lors du synode de Saint-Germain-de-Calberte en 1599, proposé par Jean GIGORD, lui-même pasteur montpelliérain.
          La même année, il se marie avec Marie BONNENCONTRE. C'est un riche mariage, puisque c'est grâce aux libéralités de Marie PEYROL que sera construit en 1608 le Petit Temple de Montpellier, près du porche d'En Rouan.
          Malgré sa nomination, malgré son mariage, le pêché de jésuiterie pèsera toujours sur les épaules de PEYROL. Jugé par ses pairs "plus brillant que profond", "nature ardente et passionnée, plus ardente que réfléchie", il restera toujours un peu suspect.
          Ses Discours familiers touchant la certitude du salut publiés chez Jean Gillet en 1611 sont condamnés par le synode de Montpellier de la même année et si PEYROL est blanchi par le synode de Privas l'année suivante, c'est à la condition que "les pasteurs de l'Eglise de Montpellier veilleront [lisons : surveilleront] ses prédications et leçons".
          Notons que le seul exemplaire connu de ces Discours familiers, jadis à l'inventaire de la Faculté de théologie (protestante) de Montauban, semble avoir lui aussi disparu.
          En 1626, PEYROL est déposé pour apostasie par le synode national de Castres. Mais après rétractation de son abjuration, le 18 avril 1627, il est rétabli dans ses fonctions de pasteur et de professeur.
          André Delort, le chroniqueur de Montpellier nous raconte cette scène fort animée:
          Le sieur Peyrol, ministre de ceste ville, qui avoit faict abjuration de l'hérésie entre les mains du Père Regourd jésuite, s'en allant à Béziers où il la devoit faire publiquement, son filz, qui en eut quelque ouïe, courut après, et l'ayant trouvé à Pézenas, le fict revenir en ville le dimanche 18e avril, n'ayant pas eu le courage de luy résister et d'achever ce qu'il avoit si bien commencé. Il ne feut pas plus tost arrivé, que sa femme se jetta entre ses bras, le suppliant de ne pas l'abandonner, luy représentant que s'il se faisoit catholique, on l'obligeroit de la quitter pour rentrer chez les Jésuites d'où il estoit sorti. Son filz, qui estoit unique et desjà docteur et mesme avocat, ne manqua pas aussi de le dissuader de son dessein, joint encore aux semonces de tous ses parens et amis, de manière que toutes ces considérations prévaleurent malheureusement pour luy à celle de son salut.
          C'est que depuis 1604, il est professeur à l'Académie protestante ou Ecole de théologie de Montpellier dont il a rédigé le réglement.
         A partir de 1629 ou 30, il est pasteur et professeur à Nîmes, où, nouvelle incartade, il approuve un livre intitulé De l'obéissance que les Chrétiens doivent à leurs magistrats et princes souverains où les Protestants ne sont pas ménagés, puisqu'on y lit  qu'il ne s'est presque pas présenté d'occasion de brouiller l'Estat que ceux de la Religion [réformée] ne l'aient embrassé.

          Contre vents et marées, PEYROL reste quand même pasteur et professeur jusqu'à sa mort le 13 janvier 1636, à Nîmes. 
          Ajoutons cependant à sa bibliographie un autre livre, lui aussi disparu, lui aussi chez GILLET, publié en 1605 : Theses theologicae propugnate... 
          On peut vraiment parler pour les deux compères de syndrome bibliographique de dispartionnite aigüe.
          Mais sans doute que ni les Protestants ni les Catholiques ne s'étaient beaucoup attachés à ces livres.
Méditations spirituelles de Daniel Peyrol
          Le petit sonnet vengeur que lui dédie Jean DE RICARD, son affectionné disciple en nous parlant de l'envie qui est toujours le support des pires et l'ennemie des meilleurs nous en dit beaucoup sur l'accueil que reçut ce gentil effort que sont les Méditations du Sieur PEROL.

GENTIL EFFORT.
          Ce petit livre (208 p. in-12) est structuré comme seuls savaient et aimaient le faire les Jésuites, rompus à la discipline des Exercices spirituels d'Ignace de Loyola.
          Les quinze méditations sont chacune divisées en trois mouvements.
          D'abord un PREAMBULE qui donne en trois courts paragraphes (des paraphrases de l'Ecriture) le thème de la méditation.
          Ensuite, un SOUSPIR, sous forme d'un sonnet octosyllabique pour provoquer une effusion de l'âme.
          Enfin, une EXEGESE en prose (sauf pour la 6e sur la mort de Jésus et la 9e sur la Cène qui sont en vers), morceau de rhétorique affective qui peut aller jusqu'à 18 ou 20 pages.
Un passage à la limite de l'orthodoxie protestante
          Il s'agit, comme chez Loyola, d'associer intimement méditation et prière car méditer sans prier, c'est concevoir et n'enfanter point. Au contraire, prier sans méditer, c'est avorter (p. 5).
          Chaque exégèse suit par ailleurs un schéma en quatre temps :
               * Nous ne sommes pas digne de Dieu, nous ne méritons que son courroux.
               * Mais par la grâce, nous espérons notre salut et...
               *... la défaite de nos ennemis : que ceux-ci soit maudits.
               * Que Dieu protège le Roi, la Monarchie et l'Eglise réformée.
          Les métaphores et comparaisons de PEYROL étonnent. Ça sent les envolées de l'Ancien Testament, mais aussi l'Apocalypse et les Epitres de Paul, ça sent surtout les entrelacs baroques d'un Du Bartas ou d'Aubigné.
          Attendu que nos iniquitez ont esté entassées l'une sur l'autre, elles ont ésté amoncelées en plus grand nombre que le sablon qui est espart sur le rivage de la mer, ou sur les plaines aréneuses de Lybie. Elles ont enténébré l'air par leur ombre. Elles ont évaporé leur puanteur jusques aux nues. Elles ont poussé leur hurlement jusqu'au ciel. Elles ont ont emply le monde de leur ordure...
Un style baroque

          Et, sur la vanité des choses humaines :
         Allez et tempestez après vos foles entreprises! Courez à la poursuite et à la prise des papillons. Accouplez-vous aux nues, aux illusions, aux prestiges, et en procréez tant de monstres, tant de Centaures qu'il vous plaira! Traversez les grandes mers, et les montagnes! Et sachez, après avoir pris beaucoup de peine que vous ne rapporterez d'autre salaire qu'un repentir. 
          Au fil du texte, ligne après ligne, un bestiaire compliqué est mis en coupe réglée par la rhétorique. Tout y passe,  et la nature la plus tendrement familière voisine avec les bestioles les plus singulières et hostiles :
          L'avare est ensevely vif dessous terre comme une taupe. Il couve dans son estomach l'oeuf de vipère, pourrait-il éclore le pigeonneau? (p. 48)
          C'est qu'il faut, pour maintenir la méditation, à tout prix faire image et couleur. Nous sommes là entre les décors marginaux des enluminures médiévales où les harpies cotoyent les colombes et les chromolithographies où les couleurs explosent sur la creste des crocodiles et des dragons (p. 34)
          Certes, Certaines petites menues gouttes de beauté, de bonté, de droicture, sont éparses et semées par cy par là sur le visage des créatures (p. 140), mais la tonalité générale est loin de l'impressionnisme.

          Finalement, nous avons là une spiritualité protestante assez complexe faisant largement appel à l'affectif et à l'imagination, mais encadrée dans des règles assez rigides. Nous sommes, dans la forme, assez proches de la spiritualité jésuite contemporaine. Mais PEYROL s'en éloigne quelque peu par une vision tragique de la chute de l'homme et de la grâce salvatrice.

          Quant à l'exemplaire présenté, il porte un ex libris
          Le Sieur Anthoine Azemar ma donné le presant livre à moy quy suis son humble [serviteur?] ce 24 mars 1624 Aurouze.
          C'était un cadeau sans trop de prestige. Le livre est relié très sommairement d'un parchemin de médiocre qualité, sans carton pour les plats, usé avec le temps mais il ne devait déjà pas être brillant en 1624.
          Le papier d'impression est lui aussi de qualité médiocre, assez mou et sans filigrane apparent. Il laisse parfois traverser l'encre à son revers, surtout lorsque Gillet utilise ses fers typographiques pour des bandeaux ou culs-de-lampe. Mais les lettrines sont souvent amusantes.


9 novembre 2011

Un EX-LIBRIS, le PEYROU, des CYPRES, André GIDE : 3 mots sur Raoul DAVRAY

          J'ai, dans mon propos précédent sur Henry Rigal parlé de son Anthologie des poètes du Midi  (Ollendorff, 1908). En fait, il s'étaient mis à deux.
          Le second était Raoul DAVRAY, de son vrai nom René Falgueirettes, né à Sète en 1881  et mort durant la 2ème Guerre (il habitait 11 rue des Volontaires à Montpellier). Royaliste maurrassien, il est le critique littéraire attitré du journal régional L'ECLAIR. 
          En 1938, il publie La Chape de plomb (plomb d'imprimerie). On aurait aimé des souvenirs littéraires, ce sont plutôt des chroniques surannées. Tant pis.
La Chape de plomb de Raoul Davray
          Ce n'est donc pas pour ça qu'on en parle, c'est parce qu'il y a son portrait sur la couverture. Son obésité ne lui interdit pas une certaine finesse.
          Si vous cliquez sur la photo ci-dessous, vous pourrez lire ce qu'on pense de lui, et un télégramme de Bernard Grasset (ils ont le même âge et se sont connus à Montpellier).
Que penser de Raoul Davray?
Dédicace au footeux Gambardella,  un temps directeur de Midi-Libre
          Mais je m'égare.
          Je voulais juste vous parler de ses rapports au Peyrou, la place de Montpellier que je vois de mes fenêtres.
Premier épisode : L'ex-libris de Raoul Davray :
Ex-libris de Raoul Davray : Montpellier
          On y voit le Pic Saint-Loup, le clocher de Sainte-Anne et le Château d'eau du Peyrou.
          L'ex-libris est signé P.C. et si vous me demandez qui c'est, je réponds je ne sais pas, mais si quelqu'un le sait, qu'il me le dise.  Bel ex-libris !
Second épisode. Dans l'hebdo La Vie Montpelliéraine, en octobre 1923, Paul VALERY, racontant sa jeunesse à Montpellier, lâche imprudemment qu'il aurait alors préféré des cyprès au Peyrou plutôt que des ormes et des platanes.
          Branle-bas dans Montpellier! Le Maître a-t-il raison? Raoul DAVRAY lance une enquête et recueille les avis de tous ceux qui, de Montpellier, ont deux mots à dire, parce que Montpellier, ils connaissent, ils y ont vécu.
          Répondent donc, en vrac : Valéry LARBAUD, Pierre GRASSET, le catalan François-Paul ALIBERT, le critique d'art André MICHEL, la romancière Jeanne GALZY, le député-poéte Xavier de MAGALLON, le peintre Edouard MARSAL, le ministre Mario ROUSTAN, Louis BERTRAND, Charles MAURRAS lui-même...
          Mais voilà. Il manque celui qui est déjà le contemporain capital, André GIDE, qui connait Montpellier comme sa poche.
          Rappelons qu'il avait écrit dans Les Nourritures terrestres
          A Montpellier, le jardin botanique. Je me souviens qu'avec Ambroise [c'est Paul Valéry qui s'appelle comme ça], un soir, comme aux jardins d'Académus, nous nous assimes sur une tombe ancienne, qui est entourée de cyprés; et nous causions lentement en mâchant des pétales de roses.
          Nous avons, une nuit, vu, du Peyrou, la mer lointaine et que la lune argentait; auprès de nous s'ébruitaientles cascades du château d'eau de la ville; des cygnes noirs frangés de blanc nageaient sur le bassin calmé...
          Et miracle, Gide, poli, répond :
          Lettre parvenue trop tard. Vif regrets. 
          Mais, lui répond Raoul Davray, une lettre de Gide est éternelle, nous saurons l'attendre!
          Et là, deuxième miracle, Gide, sincère à tout crin, re-répond :
                                                                Aucune opinion, excusez-moi. 
André Gide et les cyprés du Peyrou, à Montpellier
            Si ça, c'est pas un bide...! 

3 novembre 2011

EVANGILE DU BON FRANCAIS = CONSTITUTION de 1791

          La notule sur le Catéchisme de Chaptal m'a remis en tête une autre association entre livre religieux et livre révolutionnaire.
          Il s'agit d'un exemplaire de la
Constitution française du 14 septembre 1791
CONSTITUTION FRANCAISE de 1791
publiée à Paris, chez Didot jeune en 1791. 
          C'est un petit in-16 (presque minuscule : 10 x 6 cm) de 160 pages,  imprimé fort joliement sur velin. 
          Petit format pour, peut-être, l'avoir en poche, prête à être dégainée à la moindre occasion.
          La reliure a dû être coquette, mais a un peu souffert.
         Mais voilà : cette reliure porte, en lettre d'or sur le premier plat cette surprenante (pour nous) inscription: 
EVANGILE DU BON FRANCAIS 
Constitution de 1791, Evangile du bon français
          Preuve redoublant celle fournie par le Catéchisme des Bons patriotes de Chaptal (1790) que le moule religieux de la pensée n'était pas brisé en 1790-1791.
          A vrai dire, cet exemplaire n'aurait rien à faire ici s'il ne portait, en page de garde, la signature de Jean Salze dont le précieux Dictionnaire de biographie héraultaise de Pierre Clerc nous apprend qu'après 50 ans passés dans la banque, il avait en 1810 ouvert une école de commerce à Montpellier. 
          Conclusion : Ceux qui, à ce moment là se considéraient comme des élites de la Nation (Chaptal le dit explicitement; Salze, banquier sous la royauté, la Révolution et l'Empire le pensait sans aucun doute) étaient farouchement partisans de réintégrer le peuple (la populace devaient-ils penser) des bons français et des bons patriotes dans les cadres sociaux et intellectuels du Christianisme. 
         Comme quoi une inscription, un nom sur un livre nous amènent un peu loin sur les sentiers de l'idéologie (ici fortement conservatrice).
Ex libris de Jean Salze, de Montpellier